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Médecine et chirurgie esthétique : le secret médical est un absolu



L’ouverture de la publicité aux professionnels du soin à la faveur des recours introduits par notre cabinet ne doit pas être comprise comme permettant de faire tout et surtout n’importe quoi.

Le reportage de M6 diffusé dimanche 15 janvier laisse clairement entrevoir qu’un certain nombre de praticiens ici en esthétique mais également en médecine de soins n’ont pas compris que la modification des règles de publicité ne leur permet assurément pas d’exercer la médecine comme un commerce tandis que la protection du secret médical est un absolu auquel veillent scrupuleusement les ordres professionnels et avec eux les chambres disciplinaires et parfois les tribunaux correctionnels, même si l’étendue de ce qu’il recouvre est moins évident qu’il y paraît.

En premier lieu, sans doute convient-il de préciser d’un trait rapide tant le propos va de soi que la France n’est pas Dubaï et que proposer une ristourne sur un acte médical quelle qu’en soit la nature sous la condition contractuelle de vanter les mérites du chirurgien sur les réseaux sociaux, quitte à se montrer à ses côtés auprès de ses abonnés est totalement illégal et contrevient au principe essentiel contenu à l’article R.4127-19 du code de la santé publique selon lequel la médecine ne s’exerce pas comme un commerce


S’agissant d’une profession règlementée, il est impensable de pouvoir imaginer une évolution législative qui introduirait de telles pratiques dans l’ordonnancement juridique français.

Certes, la réalité est telle que de tels marchandages existent bel et bien et surtout en esthétique médicale ou chirurgicale, mais ils n’en demeurent pas moins totalement contraires au code de la santé publique, tandis qu’il est permis de les espérer marginaux.

Sans doute cependant que sur cette question, la problématique se situe plus du côté des influenceurs que des médecins eux même, pris au piège d’une concurrence rude notamment de leurs homologues étrangers qui n’hésitent pas à pratiquer une communication de plus en plus agressive à destination de patients potentiels français, s’affranchissant de toutes les règles déontologiques nationales auxquelles par nature ils ne sont pas soumis du fait de leur extraterritorialité.


Il n’en demeure pas moins qu’en l’état actuel du droit, les pratiques des médecins esthétiques sur Dubaï s’affichant ouvertement avec des influenceurs à qui sont offerts quelques larges avantages financiers en échange d’une mise en scène sur les réseaux sociaux ne sont pas légales sur le territoire national, tandis que rares sont les pays de l’Union Européenne au sein desquels elles sont autorisées


L’autre problématique, quelque peu plus complexe et mise en exergue par le reportage est celle du secret médical.


En effet tout le monde s’accorde à reconnaître l’absolue nécessité de celui-ci et son caractère quasi sacré.

Le code pénal s’en fait l’écho en premier à l’article 226-13, et le code de déontologie médicale n’est pas en reste, affirmant à l’article R.4127-4 du CSP que Le secret professionnel institué dans l’intérêt des patients s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi.

Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris.

Le professeur Anne Laude a pu écrire que depuis la loi du 4 mars 2002, le secret médical n’était plus seulement une obligation déontologique mais un droit du patient, et que seul celui-ci pouvait délier le praticien du secret.


Mais la réalité est plus nuancée et plus complexe et la question récurrente est celle du sort des reportages dans lesquels un médecin est filmé avec un patient aisément reconnaissable et auxquels il donne des informations sur son état de santé devant des millions de téléspectateurs


Le reportage diffusé sur M6 est assez classique à ce sujet : des patientes sont filmées au cabinet du médecin esthétique, lequel explique face caméra les actes qu’il a réalisés ou va réaliser.

Il s’agit de scènes dans lesquelles les patientes ont évidemment donné leur accord à une telle captation et dès lors la question du secret médical pourrait, de prime abord, être indifférente.

Pourtant, ce n’est pas ce qu’a décidé le Conseil d’Etat au terme d’un arrêt selon lequel le consentement du patient ne permettait pas une levée du secret médical par le médecin.

En l’espèce, un chirurgien esthétique avait participé à de nombreuses émissions dans lesquels il faisait filmer ses consultations et opérations sur des vedettes de téléréalité, qui avaient consenti à la réalisation et à la diffusion de ces reportages et articles de presse. La chambre nationale disciplinaire de l’ordre des médecins interdit au chirurgien l’exercice de sa profession pendant une durée de 2 ans dont 1 an de sursis. Le praticien forme alors un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat qui confirme et maintient la sanction disciplinaire.

La haute juridiction relève :


« Le secret médical est défini comme « Le secret professionnel institué dans l’intérêt des patients s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris ».

Elle affirme , dans le prolongement, que même dans les cas où le patient avait sciemment consenti à la réalisation et à la diffusion de reportages concernant des opérations chirurgicales, « le concours apporté par le médecin à la divulgation de leur identité à l’occasion d’émissions ou d’articles est constitutif d’une méconnaissance de l’article R. 4127-4 du code de la santé publique, qui prohibe la violation du secret médical ».( Conseil d’Etat, 4e et 1re ch. réunies, 26 sept. 2018, n° 407856)

En d’autres termes, peu importe que les patients aient donné leur accord pour être filmés aux côtés de leurs médecins, ces derniers ne peuvent accepter telle captation sans encourir de sanctions disciplinaires.


Cette position de la haute juridiction administrative a des prolongements inattendus mais pourtant bien réels notamment au sujet d’entretiens ou consultations avec un patient, lorsque celui-ci est accompagné d’un tiers et ce, quelle que soit la qualité de ce tiers (conjoints, enfants, ami...). Aucune information ou donnée secrète ne peut être divulguée, si l’on en croit le Conseil d’Etat, en présence de cette tierce personne, même avec l’accord du patient, excepté si la loi a prévu de manière dérogatoire celle possibilité (personne de confiance par exemple).


Cette vision absolutiste du secret avait été plus ou moins déjà dégagée dans le célèbre arrêt du juge judiciaire GUBLER du nom du médecin de François Mitterrand, lequel pour justifier les révélations à caractère secret sur son ex patient avait vainement plaidé que celui-ci avait renoncé au bénéfice du secret en révélant publiquement son état de santé par communiqués successifs , elle-même trouvant sa source dans une vielle jurisprudence de la chambre criminelle de la cour de cassation.

En réalité, ce que sous entendent les juridictions est que le patient est libre de divulguer son état de santé comme il l’entend, tandis qu’il ne peut accorder ce droit à son médecin, dont la préservation du secret s’impose à lui en tous lieux et toutes circonstances. Seul le législateur, au titre de conditions limitativement énumérées, peut l’en délier. C’est la notion d’ordre public du secret dont la protection est instituée dans l’intérêt du patient mais plus encore dans l’intérêt général.


Cette vision absolutiste du secret ne va pas sans poser questions et tend à faire du patient un infans incapable de pouvoir consentir à la levée d’un droit qui est conçu initialement dans son intérêt. La Protection de l’ordre public est certes une préoccupation du législateur mais il apparaît difficile de pouvoir considérer à l’aune de la loi du 4 mars 2002 sur les droits des patients qu’elle serait première, tandis qu’on rappelle que la CEDH a rattaché le secret médical à l’article 8 de la convention sur le droit à la vie privée et familiale.


Il nous semble difficile de pouvoir adhérer à une telle vision de la relation patient médecin totalement déconnectée de la réalité de l’exercice médical et dangereuse autant qu’artificielle.

En effet, la consultation à plusieurs est courante et est même un gage d’observance des traitements prescrits, sans parler ici des patients étrangers qui maîtrisant mal la langue française se font opportunément accompagner par des proches aux consultations médicales.


À en croire les juges, une telle acceptation par le médecin engagerait sa responsabilité disciplinaire et pourquoi pas pénale pour violation du secret médical


C’est évidemment insensé !

Enfin que dire des reportages dans lesquels le sujet n’est pas le médecin mais le patient lui-même ?

Devra-t-on interdire aux médecins de recevoir les patients accompagnés de journalistes,

et ce, en toutes circonstances ?

Il apparaît pour le moins paradoxal de maintenir cette vision absolutiste si l’on considère que l’épidémie de Covid 19 a fait sauter toutes les digues du secret médical à travers le Pass sanitaire puis vaccinal et plus spécifiquement à travers le traçage des malades et de leurs proches.

Le professeur Bruno Py, professeur de droit avait pu légitimement s’en émouvoir et affirmer.

« On a glissé de la surveillance de la maladie à celle du malade, en instituant un ordre public sanitaire » qui « fait exploser le secret médical, et donc la confiance des patients ».( le Point 13 mai 2020)

Mais le paradoxe n’est-il pas le maître mot d’une civilisation déclinante qui affirme haut et fort des droits absolus pour mieux les violer lorsqu’ils auraient précisément besoin d’être les plus protégés ?

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