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Accès direct à des professions paramédicales : plus facile à dire qu’à faire.


Le Sénat, ce 14 février, devait débattre de l’épineux sujet de l’accès direct à des professions paramédicales auquel s’opposent les principaux syndicats de médecins libéraux.


Notre cabinet Barok a déposé un recours en manquement devant la commission européenne pour permettre un accès direct aux infirmiers de pratique avancée, de sorte qu’étant en première ligne sur ce sujet, nous y reviendrons plus longuement au fur et à mesure des développements législatifs, notamment en tentant un tour d’horizon de ce qui se pratique au sein des différents pays de l’UE.

Mais, profitant de ce débat, les sénateurs ont entendu restituer du temps médical aux médecins en tentant de lutter contre la problématique des rendez vous non honorés, ce qui constitue un manque à gagner substantiel pour les praticiens.


Les parlementaires ont imaginé de pouvoir pénaliser les patients qui, sans motifs légitimes, ne se rendraient pas à leurs rendez vous médicaux, sans avoir pris soin de les décommander.


Ainsi, l’amendement adopté en commission donne compétence aux conventions nationales médicales pour déterminer « les modalités et les conditions d’indemnisation du médecin au titre d’un rendez-vous non honoré par l’assuré social et les conditions dans lesquelles les sommes ainsi versées sont mises à la charge de ce dernier ».

Madame Imbert, rapporteur du texte, expliquait :

« En revanche, et pour rendre du temps médical utile aux médecins, je vous proposerai, avec Élisabeth Doineau, un amendement visant à lutter contre les rendez-vous médicaux non honorés. Notre dispositif propose de confier à la convention médicale le soin de déterminer une indemnisation du médecin à qui un patient fait faux bond sans raison légitime. Cette indemnisation serait mise à la charge du patient responsable afin de responsabiliser les assurés sociaux. La caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) pourra, par exemple, déduire la somme des remboursements ultérieurs versés au patient. »

La question des « lapins » posés aux professions de santé n’est pas nouvelle et dans une enquête menée en 2015 auprès de près de 3.000 médecins par l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) Ile-de-France, ces rendez-vous non honorés représentaient 40 minutes de consultation perdue en moyenne par jour et par médecin. Une autre étude menée en Franche-Comté par l’URPS, en 2013, aboutissait au chiffre de quelque 500.000 consultations non honorées par les patients dans la région; un chiffre qui, extrapolé à la France entière, reviendrait à... 28 millions de rendez-vous ratés chaque année!

Nul doute, dans ce contexte, que vouloir se saisir de la question est légitime, tandis qu’au delà du trouble causé au médecin, c’est aux autres patients que telle défection porte préjudice, ceux qui peinent à obtenir rendez vous dans un délai raisonnable faute de médecins disponibles.

En somme, c’est la chaine du soin toute entière qui se trouve affectée en plein coeur.


Cependant, plusieurs questions et non des moindres se posent à la lecture de l’amendement ainsi déposé.

En premier lieu, est-ce de la compétence de la convention médicale de prévoir un mécanisme de sanctions envers des patients indélicats?


Rien n’est moins certain si l’on considère l’objet des conventions médicales tel que visé à l’article L 162-5 du code de la santé publique selon lequel : « Les rapports entre les organismes d’assurance maladie et les médecins sont définis par des conventions nationales (...)».

Peut-on considérer que le législateur peut étendre le champ de compétence de la convention médicale ainsi fixé par un cadre législatif clair ?


La question est mal aisée et il faudrait attendre une éventuelle saisine du conseil constitutionnel par voie d’action ou d’exception pour le savoir.


Mais au delà des questions de légalité purement externe, on peut raisonnablement s’interroger sur la mise en œuvre concrète d’un tel dispositif dont aucun contour n’est encore fixé, signe s’il en fallait de son caractère exclusivement symbolique .

En premier lieu, on imagine qu’il ne s’agira de sanctionner que des défections dépourvues de motif légitime, mais comment apprécier ce dernier ? S’agira t’il d’entrer dans une impossible casuistique visant à s’enquérir du motif patient par patient ou au contraire d’imaginer une liste de cas présumant l’absence de légitimité du motif au risque d’un inventaire non exhaustif ?


Ensuite, prosaïquement, qui sera l’autorité chargée de mettre en œuvre la sanction et selon quels moyens ?

Le Sénat ne s’est guère épanché sur la question et laisse le soin à la convention médicale de régler ce détail qui en est pourtant tout sauf un.

Car en effet, l’effet dissuasif prêté au dispositif ne peut produire ses effets que si celui-ci est suffisamment efficace et les sanctions rapidement mises en œuvre, tout en garantissant une effectivité des droits de La Défense et en tout cas du principe du contradictoire afin de s’assurer que le patient a bien commis une faute en omettant de prévenir son médecin.

Et si le mécanisme doit bien avoir un effet dissuasif, c’est sur les défections et pas sur les recours aux soins, ce à quoi risquerait de conduire une appréciation trop large des possibilités de sanction.

On peut s’étonner, par ailleurs, à la suite des travaux du Sénat, de ce que le temps médical soit manifestement plus précieux que le temps paramédical si l’on songe au fait que tel dispositif n’est pensé et organisé que pour les seuls médecins, venant nourrir un peu plus le ressentiment des paramédicaux qui se considèrent, à tort ou à raison, comme les parents pauvres de toutes les réformes des professions de santé libérales.

Enfin, un dernier point interroge et affirme le caractère largement plus symbolique ou politique que réellement juridiquement contraignant du mécanisme ainsi mis en place.


Le recouvrement de l’indemnité forfaitaire serait assuré par l’assurance maladie sur les sommes revenant au patient à titre de remboursement des prestations de soins futures.

Mais la vérité est que le tiers payant généralisé, depuis longtemps encouragé et désormais acté à la loi du 26 janvier 2016 dite de modernisation du système de santé empêche de pouvoir rendre efficace une telle sanction dans tous les cas nombreux où celui-ci serait mis en œuvre.

Que dire, enfin, des patients sous AME et CMU, lesquels par nature n’avancent aucun frais ?


Cette rupture du principe d’égalité devant la sanction interroge et interpelle le juriste : ainsi les patients qui avanceraient les frais médicaux pourraient voir leur comportement sanctionné là où ce serait donc impossible pour ceux qui seraient dispensés d’avance de frais ?

Cette différence de traitement n’a aucune justification tangible et est en elle-même le signe de l’impuissance du droit à régler ce qui relève de la seule bienséance.

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