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Personnel suspendu : ce que personne n'a dit !


Alors que les débats font rage sur le point de savoir s’il faut réintégrer le personnel suspendu du fait du non respect de l’obligation vaccinale contre le covid, il est curieusement un point que personne n’a entendu soulever : celui du doute sérieux sur la légalité de la suspension sans salaire, comme sanction au non respect de l’obligation vaccinale.


En premier lieu, nous devons ici rappeler que la question de la légalité de l’obligation vaccinale contre le covid n’est à notre sens que difficilement contestable au regard de l’état du droit tel qu’issu de la jurisprudence de la CEDH.


La Cour, dans le dernier état de sa jurisprudence, admet une large marge de manœuvre des Etats membres afin de décider des politiques de santé publique, tandis qu’elle semble être peu encline à entrer dans un débat scientifique sur la pertinence d’une vaccination obligatoire à grande échelle.


Toute autre est la question de la sanction attachée au non respect de celle-ci, laquelle est inédite et s’ inscrit en rupture de la jurisprudence classique en la matière, y compris du reste de celle de la cour européenne des droits de l’homme.


L’obligation vaccinale de certaines catégories professionnelles n’est pas nouvelle et l’article L.3111-4

du Code de la santé publique dispose en effet :


« Une personne qui, dans un établissement ou organisme public ou privé de prévention de soins ou hébergeant des personnes âgées, exerce une activité professionnelle exposant ou exposant les personnes dont elle est chargée à des risques de contamination doit être immunisée contre l'hépatite B, la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite et la grippe. »


Le principe n’est donc pas nouveau, tandis cependant qu’aucune disposition légale ou réglementaire ne prévoit de sanction pour le non-respect de ces obligations.


C’est la jurisprudence qui a considéré que le manquement à l’une des obligations vaccinales précitées justifie le licenciement pour cause réelle et sérieuse d’un salarié.


La Cour de cassation, en effet, a pu admettre que : « le refus opposé par le salarié de subir une vaccination obligatoire contre l'hépatite B constituait une cause réelle et sérieuse de licenciement. » (en ce sens Cass. soc. 13 septembre 2012, 11-25.642 ; Cass. soc 28 oct. 2009, 08-43.376, Cass. soc. 11 juillet 2012 n° 10-27.888)


D’ailleurs, le projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire tel qu’adoptée en première lecture par l’Assemblée Nationale prévoyait lui-même, à l’égard des salariés, que : « Le fait pour un salarié de ne plus pouvoir exercer son activité pendant une durée cumulée supérieure à l’équivalent de deux mois de journées travaillées en raison du non-respect de l’obligation de présentation des justificatifs, certificats et résultats mentionnés au même premier alinéa peut être un motif spécifique constituant une cause réelle et sérieuse de licenciement. »


Cette formulation avait le mérite d’assurer le respect des garanties attachées au licenciement pour les salariés car le texte poursuivait en ces termes : « Dans ce cas, l’employeur respecte les modalités et conditions définies pour le licenciement mentionné à l’article L. 12321 du code du travail et, pour les salariés protégés, au livre IV de la deuxième partie du même code. »


À l’égard des fonctionnaires ou des agents contractuels le texte prévoyait dans la même logique que :

« Le fait pour un agent public de ne plus pouvoir exercer son activité pendant une durée cumulée supérieure à l’équivalent de deux mois de journées travaillées en raison du non respect de l’obligation de présentation des documents mentionnés au premier alinéa du présent 2 peut justifier la cessation définitive des fonctions, s’il est fonctionnaire, ou la rupture du contrat, s’il est agent contractuel. »


Des garanties importantes étaient, là encore, attachée de façon inhérente et de façon expresse

à cette procédure de radiation des cadres ou de rupture du contrat.


Pourtant, cette solution a été abandonnée du fait de son caractère supposément « disproportionné ». Le rapport n° 798 du Sénat montre en effet l’intention des parlementaires derrière cet abandon visant à nuancer l’atteinte portée par la nouvelle obligation vaccinale :


« La commission a considéré que la procédure prévue était disproportionnée et a donc, par l’adoption d’un amendement COM-230 de son rapporteur, supprimé les mesures de licenciement ou de radiation des cadres des personnes concernées si celles-ci sont suspendues pendant plus de deux mois. »


C’est ainsi que le texte finalement adopté en date du 5 août 2021 a prévu le régime tout à fait inédit de suspension des fonctions ou du contrat de la personne concernée assortie de l’interruption du versement de sa rémunération, et ce sans limitation de durée.


Ainsi, le non-respect de l’obligation vaccinale contre le covid-19 entraine interruption de la rémunération pour une durée indéterminée, là où toutes les autres obligations vaccinales justifient le licenciement des personnes réfractaires.


Cette atteinte au principe d’égalité devant la loi interroge en ce qu’il ne repose sur aucun fondement tangible sur le plan juridique, et semble témoigner de l’hystérie qui s’est emparée du sujet, dont on peine à entendre qu’il ait été traité différemment des autres obligations vaccinales, au regard du droit du travail.


Mais il y a pire : En application de l’article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen en date du 26 août 1789 :


« La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ».


Le droit de propriété a été érigé au rang des libertés fondamentales – au visa de l’article L 521-2 du CJA précité – par le juge administratif (CE, réf., 31 mai 2001, Cne d'Hyères-les-Palmiers, n°234226 ; CE, réf., 14 mars 2011, no 347345).


Pour rappel, un traitement constitue « [l’]élément principal de la rémunération d’un fonctionnaire correspondant à son indice de traitement, et sur lequel est calculée sa pension de retraite lors de la fin de ses fonctions » (« Lexique des termes juridiques 2021 – 2022 », Dalloz, 29e édition, Serge GUINCHARD & Thierry DEBARD, août 2021, page 1044).


Il ressort d’une jurisprudence bien établie par la CEDH que le droit de propriété recouvre tant les salaires perçus par les salariés que les traitements les fonctionnaires (CEDH, Stummer c. Autriche, 07 juillet 2011, req. n°37452/02 ; CEDH, Mockiené c. Lituanie, 04 juillet 2017, req. n°75916/13 ; CEDH, 7 mai 2013, Koufaki et Adery c. Grèce, req. n°57665/12).


Comme le dispose l’article 1er du Protocole additionnel, un État partie à la Convention peut limiter le droit de propriété d’un ressortissant à condition que ce soit prévue par la loi, qu’elle poursuive un but légitime et enfin qu’elle soit proportionnée par rapport au but poursuivi.


À ce titre, il y a lieu de citer l’arrêt Rimantas SAVICKAS against Lithuania en date du 15 octobre 2013ndans lequel la CEDH précise que :

« Sur la base de sa jurisprudence constante, la Cour rappelle que les principes qui s'appliquent de manière générale dans les affaires relevant de l'article 1 du Protocole n° 1 sont également pertinents lorsqu'il s'agit de salaires et de prestations sociales (voir, mutatis mutandis, Stummer c. Autriche [GC], no. 37452/02, § 82, ECHR 2011). La première exigence, et la plus importante, de l'article 1 du Protocole n° 1 est que toute ingérence d'une autorité publique dans la jouissance paisible des biens doit être légale et qu'elle doit poursuivre un but légitime " dans l'intérêt public ". Toute ingérence doit également être raisonnablement proportionnée au but à atteindre. En d'autres termes, un "juste équilibre" doit être trouvé entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les exigences de la protection des droits fondamentaux de l'individu. L'équilibre requis ne sera pas trouvé si la ou les personnes concernées ont dû supporter une charge individuelle et excessive (voir Khoniakina c. Géorgie, no 17767/08, § 70, 19 juin 2012). La Cour a également jugé que l'article 1 du Protocole n° 1 à la Convention ne peut être interprété comme donnant à un individu un droit à un salaire d'un montant déterminé (voir Panfile c. Roumanie (déc.), 13902/11, § 18, 20 mars 2012) » (CEDH, Rimantas SAVICKAS c. Lithuania, 15 oct. 2013, 66365/09, § 91).


la Cour n’a pas manqué par ailleurs de préciser que la réduction des traitements des fonctionnaires de la fonction publique ne saurait les priver de subvenir à leurs besoins, comme en témoignent les paragraphes suivants :

« La Cour estime que la diminution du salaire de la première requérante n’est pas d’un niveau tel qu’elle risque d’exposer la requérante à des difficultés de subsistance incompatibles avec l’article 1 du Protocole no 1. Eu égard à ce qui précède et au contexte particulier de crise dans lequel elle intervient, l’ingérence litigieuse ne saurait être considérée comme ayant fait peser une charge excessive sur la requérante.


Quant à la proportionnalité des mesures litigieuses en ce qui concerne les salaires et pensions des fonctionnaires affiliés à la deuxième requérante, la Cour ne peut se référer qu’au texte du mémorandum lui-même. Selon ce texte, d’une part, la suppression du 13e et du 14e mois de pension est compensée, pour les personnes percevant moins de 2 500 EUR par mois, par la création d’une prime unique de 800 EUR par an. D’autre part, si le versement des 13e et 14e mois de salaire est supprimé pour tous les salariés, il est prévu une prime annuelle de 1 000 EUR, financée par la réduction des allocations jusqu’alors calculées sur les hauts salaires. Cette prime a été créée dans le souci de protéger les couches de population ayant de bas revenus (les personnes qui perçoivent moins de 3 000 EUR par mois) (paragraphe 6 ci-dessus) » (CEDH, 7 mai 2013, Koufaki et Adery c. Grèce, 57665/12, §§ 47 – 48).


Grâce à la lecture de ces paragraphes reproduits in extenso, il en ressort que la diminution d’un traitement ou d’un salaire n’est possible, pour autant qu’elle poursuivre un intérêt général (en général économique), à condition que cette diminution n’entraine pas une impossibilité de subvenir à ses besoins.


La question de savoir si, dans la situation du personnel suspendu sans salaires ni traitement, les exigences de protection de la propriété sont respectées nous semble devoir trouver une réponse négative au regard des critères ainsi posées par la jurisprudence.


C’est précisément ce dont la CEDH aura à connaitre dans le cadre du recours admis par elle, à notre initiative.


On regrette que le droit ait été supplanté par l’émotion et par la politique spectacle, tandis qu’il eut été possible de concilier une certaine idée de la protection de la santé publique avec un respect des libertés fondamentales des personnels réfractaires, en procédant au licenciement de ces derniers, exactement comme c’est le cas pour le défaut de respect des autres obligations vaccinales




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